L'appel du 18 juin 2018 à promouvoir la médiation n'a guère été entendu
On l’a déjà dit, la justice belge ressemble à l’autoroute de la mer un dimanche d’été: cela bouchonne à cause des chantiers (comprenez: le manque de magistrats) alors que trop de monde l’emprunte sans chercher d’itinéraires alternatifs.
Crise sanitaire oblige, comparons-la aujourd’hui à un hôpital dont l’accueil serait installé au sein même du bloc opératoire: ce n’est qu’au moment de l’anesthésie – voire quand le chirurgien brandit son bistouri – que le conseil serait soufflé aux justiciables de résoudre leur conflit autrement que par la chirurgie lourde, coûteuse et parfois même invalidante.
"Environ 800.000 affaires sont introduites en justice alors que probablement moins de 10.000 médiations s’effectuent chaque année."
Pour éviter le "tout au juge"
Dans toute caricature il y a une part… d’injustice. Tant que cela? Deux ans se sont écoulés depuis la loi du 18 juin 2018 tendant à promouvoir les formes alternatives de résolution des litiges – dont la médiation – mais trop peu a été fait pour que cette loi change vraiment le paradigme. Lequel? Celui d’une directive européenne de 2008 appelant à organiser la Justice de sorte qu’un litige sur deux se résolve en dehors du prétoire. Pour mieux réduire le budget de la Justice? Non! Pour que, grâce à la réforme et conformément à la Convention européenne des droits de l’Homme, toute personne ait (enfin) droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement, dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi: le "tout au juge" est devenu aussi absurde, coûteux et contreproductif que le serait, en matière de santé, le "tout au chirurgien" au mépris de la médecine généraliste ou des professions paramédicales.
Mais on n’y est pas encore et les chiffres parlent d’eux-mêmes: en divisant le montant (pourtant dérisoire) de 16 millions d’euros de dotations annuelles au fonds d’aide juridique (autrement appelé "pro deo") par son financement de 20 euros par demandeur en justice, on constate qu’environ 800.000 affaires sont introduites en justice alors que probablement moins de 10.000 médiations s’effectuent chaque année. Et pourtant, il faut saluer le réel changement de mentalité qui s’opère sous l’impulsion de beaucoup de magistrats et d’un nombre grandissant d’avocats qui promeuvent activement les solutions alternatives à la castagne judiciaire. Mais à ce train-là, l’objectif de cette loi ne sera atteint que dans un siècle...
Priorité au règlement à l'amiable
Il convient donc de retourner la table et d’organiser l’accès au juge de façon radicalement différente. Qu’il s’agisse du Québec, dont les sept premiers articles du code de procédure civile sont consacrés à la prévention et au règlement amiable des différends, ou de l’Italie et de la France qui, pour certaines catégories de litiges, n’autorisent l’accès au juge que s’il est démontré que les parties ont d’abord tenté de résoudre leur conflit à l’amiable, les exemples ne manquent pas. On pourrait aussi s’inspirer de notre excellent système de santé: la chirurgie y est préférée à toute autre solution médicale quand elle constitue LA solution et non UNE solution.
Est-ce si compliqué? Mais non: outre l’exemple du Québec, la loi pourrait réputer écrite une clause de médiation dans tout contrat existant ou à conclure en matière civile et commerciale (à l’exclusion de certaines catégories pour lesquelles un risque de déséquilibre existe entre justiciables). À condition bien entendu que les parties restent libres d’y déroger et que le caractère strictement volontaire et confidentiel de la médiation soit maintenu intact.
Quelques millions pour en faire la promotion
Enfin, comme malheureusement la prévention et résolution amiable des différends se propage bien plus lentement qu’un satané virus alors que, précisément, le Covid-19 contribue à l’explosion du nombre de litiges, il est absolument indispensable que le gouvernement libère immédiatement des moyens financiers pour que la loi du 18 juin 2018 soit enfin connue du grand public. Actuellement, pas un seul euro n’y est consacré. Or, il y a urgence et on ne le dira jamais assez: même pour les vainqueurs en justice, rares sont les sentences qui donnent pleinement satisfaction. À défaut d’être un enjeu de santé publique (quoique: si on considère les dommages collatéraux d’éreintantes procédures en justice?), ces quelques millions à investir annuellement dans la promotion de la médiation contribueraient grandement au bonheur national brut de la population. Mesdames, Messieurs les négociateurs en vue d’un nouveau gouvernement, à vos programmes !
Photo : ©Saskia Vanderstichele